De la quinzaine d’autoportraits ou de portrait que compte le corpus photographique de Jean-Gabriel Eynard figure assurément parmi les plus beaux. Le Getty Musem le date autour de 1845 mais il nous semble plutôt s'inscrire dans la série des autoportraits qu'Eynard réalise vers 1850 sur le modèle de la peinture. La présence d'un passe-partout "ordinaire", choisi ici certainement pour des questions esthétiques, le situe en principe avant 1848.
Dans une mise en scène extrêmement dépouillée, Eynard se représente assis de profil, à mi-corps, absorbé par la lecture d’un grand in-folio. La silhouette qui se détache sur le fond clair occupe pratiquement tout l’espace, créant ainsi une sorte de proximité avec le spectateur.
Par le choix de l’iconographie, le sujet penché sur un livre, Eynard fait clairement référence à l’univers de la peinture classique. Il s’agit en effet d’un thème récurrent dans l’histoire de l’art, à l’exemple du portrait de saint Jérôme dans son cabinet de travail ou de celui d’Erasme de Rotterdam par Holbein. Les auteurs de l’ouvrage consacré aux plus beaux daguerréotypes du musée J. Paul Getty à Los Angeles ont rapproché ce portrait de l’art de la peinture hollandaise du 17e siècle.
Par son utilisation de la lumière, qui irradie le sujet par le haut et que la surface blanchâtre du livre réfléchit sur le visage, Eynard magnifie les clairs-obscurs à la manière de Rembrandt, maître de la technique qu’Eynard semble avoir voulu imiter. Le cadrage serré sur la silhouette sombre et massive renforce cet effet. Le choix des textures apporte des nuances que le procédé photographique révèle dans les parties sombres : la chevelure soigneusement peignée, le col de fourrure ou encore la nappe à franges de la table supportant le livre.
On mesure ainsi la très grande maîtrise technique de Jean-Gabriel Eynard, par son travail sur la lumière, le cadrage et la composition, et par la recherche d’effets qui s’apparentent à la touche du peintre. Ici, tout est intentionnel, rien n’est laissé au hasard. (U. Baume-Cousam)