Ce daguerréotype a été pris devant le portique d’entrée du château du Piple, dans la commune de Boissy-Saint-Léger, près de Paris, propriété de la famille Hottinguer. Parmi les œuvres conservées d’Eynard, peu ont été réalisées dans un lieu qui ne lui appartenait pas. Celle-ci n’est pas datée, mais on peut la situer vers 1843 d’après l'âge de Rodolphe Hottinguer, né en 1835, en deuxième position depuis la gauche. Elle a peut-être été prise le même jour qu’un autre daguerréotype, daté du 18 juin 1843, qui montre l’intégralité de la façade sur cour de ce château (Musée de l’Elysée, 054040). Ces deux images constituent un témoignage précieux de l’aspect de cet édifice avant son profond remaniement dans le style néo-Renaissance en 1851. La prise de vue verticale, avec les personnages de face et le bâtiment de trois quarts, intègre les quatre colonnes toscanes de son imposant portique, sans aucune déformation grâce à un recul approprié, voire à l’emploi d’une caméra dont l’objectif peut être décentré. On connaît le goût d’Eynard pour cette architecture néoclassique très monumentale, qu’il a choisie pour son palais genevois et le corps de logis sud-est de la maison de maître de Beaulieu, ainsi que son aptitude à recourir aux colonnes pour rythmer et structurer ses compositions.
Seules ou par deux ou trois, les personnes qui se trouvent devant ce portique adoptent des attitudes variées qui animent la scène. Leur disposition est savamment étudiée. Tout à gauche, on reconnaît le propriétaire des lieux, le baron Jean-Henri Hottinguer (1803-1866), directeur de la banque fondée par son père, régent de la Banque de France et l’un des artisans du réseau de chemin de fer français. Penché en arrière, il regarde avec attention le livre ou la partition qu’il tient dans ses mains. Assise devant lui, sa belle-mère Sophie Delessert est revêtue d’un grand châle sur une robe sombre qui tranche avec les habits clairs des deux enfants qui se tiennent debout à ses côtés. À gauche, il s’agit de son petit-fils Rodolphe, fils de Jean-Henri ; à droite, probablement de sa plus jeune fille Madeleine, née en 1831. À leur droite, Caroline Hottinguer, née Delessert, la maîtresse de maison, enlace une jeune femme non identifiée qui appuie affectueusement sa tête contre son épaule. À nouveau, la robe claire de Caroline contraste avec celle, plus foncée, de sa voisine, agrémentée uniquement d’un col en dentelle blanche. Debout derrière elles, Anna, la plus âgée du groupe, porte un bonnet de lingerie rehaussé de multiples volants ; elle regarde dans la direction de son époux, debout tout à droite, une main posée sur la hanche. Il forme le pendant de Jean-Henri Hottinguer, tous deux encadrant la scène qu’ils ponctuent de leurs imposantes statures qui se détachent du groupe, de même que celle d’Anna, debout sur le perron. Seuls Eynard et Sophie Delessert fixent résolument l’objectif ; les autres protagonistes semblent perdus dans leur pensée. Cette belle image parfaitement équilibrée et bien composée confirme la grande maîtrise d’Eynard dans l’art d’associer une représentation d’architecture et un portrait de groupe. (I. Roland)
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