Le registre d’inventaire du photographe genevois Franck Henri Jullien indique en juillet 1918 la commande par l’usine de cigarettes Laurens Le Khédive de vingt clichés verre au format 24x30 cm, de ses ateliers et locaux, ainsi que de cent tirages du portrait de groupe réunissant tout le personnel, pour la somme de 320 francs. Cette série de prises de vue historiques nous plonge dans l’univers d’une manufacture de tabac du début du 20ème siècle. Ces images, vraisemblablement destinées à des fins promotionnelles, documentent tour à tour l’extérieur du bâtiment, les bureaux, les ateliers, les machines et le personnel au travail.
Le bâtiment est construit entre 1913 et 1914, dans le même style colonial que la maison-mère égyptienne, installée à Alexandrie. La manufacture Laurens Le Khédive située au numéro 61 de la route de Chêne fait partie des nombreuses succursales européennes des usines Laurens, fondées en 1887 par le français établi en Égypte Édouard Laurens, un des premiers cigarettier à venir s’installer à Genève. « Le Khédive », la marque phare du fabricant, n’est autre que le Pacha d’Égypte dont le portrait figure sur l’emballage.
La majorité des vues date de 1918, c’est-à-dire après la surélévation de la bâtisse et le rajout d’une balustrade de style néo-classique sur le toit. Jusqu’en 1956, le bâtiment connaîtra de nombreux agrandissements.
Les vues intérieures sont soigneusement mises en scène. Il s’agit de faire la promotion de l’entreprise, de montrer la modernité du lieu et de ses installations. On valorise aussi le savoir-faire des ouvrières et ouvriers. L’emballage des cigarettes, par exemple, entièrement fait à la main, était confié à des ouvrières spécialisées.
Ce reportage relate les différentes étapes de la production. Les feuilles de tabac sont mélangées, triées manuellement puis sont coupées par des machines avant de passer à la confection mécanique des cigarettes. Des mains féminines assemblent ensuite les boîtes et les remplissent. Les hommes quant à eux s’occupent de la mise en caisse pour l’expédition et du chargement des camions. Ce sont des hommes également qui surveillent les ateliers : la place des femmes, subordonnées au chef d’atelier, est caractéristique des rapports sociaux.
À côté des ateliers, des bureaux accueillent le personnel administratif : le bureau du Directeur commercial, celui du Directeur technique, le bureau de l’accueil, de la comptabilité ou encore le secrétariat. Sur une prise de vue de ce dernier, la modernité est mise en avant, ici aussi, avec une machine Remington modèle 1910 qui trône au premier plan.
Une entreprise moderne se doit d’assurer le bien-être de son personnel. La grande et lumineuse salle du réfectoire en témoigne. Les sanitaires sont eux aussi à la pointe de la modernité.