Un album de la Société genevoise de photographie conservé dans les collections du centre d’iconographie mérite notre attention. Son titre « Photographies instantanées » se réfère à une pratique de la photographie qui apparaît durant la décennie 1880-1890 et marque un jalon dans l’histoire du médium. Une série d’images de photographes amateurs y est rassemblée, qui présentent des sujets mobiles: un cortège d’enfants qui marchent vg 2617 6 07, le plongeon d’un jeune homme saisi au vol vg 2617 6 06, des vagues vg 2617 6 10, des paysans en pleine action chargeant un char de foin vg 2617 6 12 ou encore un cheval tractant sa charge. Le mouvement constitue le dénominateur commun à toutes ces vues prises sur le vif.
Au cours des quarante premières années de son histoire, depuis la présentation du procédé de Daguerre à l’Académie des Sciences de Paris en 1839, la photographie a sans cesse été comparée à la peinture. Certes, la place du nouveau médium parmi les arts rassemble autant de défenseurs enthousiasmés par la finesse du procédé du daguerréotype que de détracteurs qui en dénoncent la froide précision. Il n’en reste pas moins que la photographie emprunte le plus souvent, à ses débuts, ses thèmes à la peinture : natures mortes, monuments, portraits, paysages.
Comme André Gunthert l’a exposé dans sa thèse « l’Esthétique de l’occasion – naissance de la photographie instantanée comme genre », ce sont les progrès conjugués de la technique et de la chimie accomplis au cours des premières décennies de son histoire qui ont permis à la photographie de s’émanciper de la peinture et d’inventer une nouvelle iconographie avec la photographie instantanée. Pour qu’elle invente son propre langage, il faut attendre la sensibilité d’une émulsion au gélatino-bromure d’argent, en 1871, la rapidité d’un système d’obturateur mécanique, dès 1881, avec par exemple le modèle de la maison genevoise Thury et Amey et la taille réduite de l’appareil portable qui succède aux lourdes chambres photographiques.
En 1850, lorsque Jean-Gabriel Eynard (1775-1863) inscrit «… à 9h du matin instantané 1 seconde ½… » au verso de deux daguerréotypes représentant des portraits de groupe réalisés sur le pont du bateau l’Aigle 2013 001 dag 046 et 2013 001 dag 047, il ne s’agit en aucun cas d’un sujet pris sur le vif. Le temps de pose, obtenu en retirant brièvement le bouchon qui masque l’objectif avant de le remettre en place, exige la plus grande immobilité possible de la part des personnes photographiées. Ça n’est qu’à partir des années 1880-1890, avec l’émergence des nouvelles émulsions combinées aux tout récents obturateurs mécaniques que les temps de pose vont se compter en fractions de seconde, de l’ordre de 1/250ème.
De nombreuses données techniques sont soigneusement consignées dans l’album genevois « Photographies instantanées » : temps de pose, modèle d’obturateur et type d’objectif utilisés, ouverture du diaphragme, type de plaque ainsi que des indications sur le développement. Avec ses sujets mobiles et ses informations techniques, cet album offre ainsi un précieux témoignage de la période d’expérimentation autour de l’instantané. Avec lui, la photographie va petit à petit s’émanciper de la peinture pour emprunter sa propre voie. Le mouvement devient le sujet de la photographie, la vitesse lui confère son identité. L’image de l’album répondant le mieux à cette nouvelle esthétique est celle du plongeon vg 2617 6 06.